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Bilan: "Les 300 plus riches de Suisse"
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Bilan,  décembre 2000
Olivier Toublan

Article en version jpgOn a presque vécu l’impensable, cette année: la famille Oeri-Hoffman, qui occupe depuis onze ans la tête du classement des Suisse les plus riches, fut à deux doigts de se faire détrôner par un petit jeune de 35 ans, Ernesto Bertarelli, patron et actionnaire principal de Serono, l’une des plus grandes et probablement la plus rentable entreprise biotech du monde. C’est que l’action Roche a perdu plus de 20% ces douze derniers mois alors que le titre Serono triplait presque de valeur! Quel meilleur exemple pour illustrer la montée en force, ici encore, de la nouvelle économie? De fait, des fortunes gigantesques se sont créées ces derniers mois dans les secteurs de la technologie, des télécommunications et de la biotechnologie (les fameux TMT des analystes financiers), avec comme conséquence un véritable bouleversement du petit club très privé des Suisses superriches.

Selon nos fichiers, ils sont près de 400 – citoyens ou résidents – dont la fortune approche ou dépasse les 100 millions de francs. Nous avons retenu les 300 premiers dans un classement élaboré en collaboration avec Bilanz, que nous allons désormais publier chaque année au mois de décembre, comme notre confrère alémanique. Un classement qui a vu cette année l’arrivée de jeunes loups partis de rien, ou presque, il y a cinq ans, et qui aujourd’hui comptent leurs millions par centaines, comme Daniel Aegerter (1 à 1,5 milliard de fortune), qui a vendu son entreprise internet Tradex, comme Albrecht von Müller (700 à 800 millions), le patron de Think Tools, ou Dino Trovato ( 300 à 400 millions) de Datacomm, qu’il a vendu à l’Italien Tiscali. Quant aux «grands ancêtres», comme Ernesto Bertarelli ou André Kudelski (un peu moins de 4 milliards de francs, presque quatre fois plus que l’an dernier), ils campent aujourd’hui sur leurs milliards.

Certes, ces deux-là ont hérité, mais ils ont su décupler (au moins) leur fortune en une décennie. Une performance unique pour des héritiers, qui, en passant, commencent à devenir de plus en plus nombreux dans notre classement, et qui se contentent la plupart du temps de gérer sans faire trop de vagues le pactole laissé par leurs ancêtres. De fait, les exceptions, comme celle de la Fondation de famille Sandoz qui a encaissé près de 3 milliards de plus-value grâce à ses investissements dans World Online, sont rares.

LES QUATRES SECTEURS qui ont cartonné Grande tendance de l’année 2000, donc, l’arrivée en force de la nouvelle économie. Et encore, nos estimations, réalisées entre octobre et novembre, sont relativement sages, puisque faites après le krach boursier de mars qui a vu la bulle des tech-stocks éclater (le Nasdaq est en baisse de 40% depuis son sommet). C’est mieux ainsi, d’ailleurs, car à moins d’une énorme surprise, la valeur des meilleurs titres de la nouvelle économie ne devrait plus guère diminuer. On retrouvera donc probablement l’essentiel de ces nouvelles têtes, et probablement plusieurs autres si la bourse se reprend, dans notre prochain classement, en décembre 2001. Mais les patrons d’entreprises high-tech ne sont pas les seuls à avoir profité d’une année en tous points formidable, reprise économique aidant. En Suisse romande, trois autres secteurs, on ne peut plus ancienne économie, ont également tiré leur épingle du jeu.

L’horlogerie, d’abord. Ce fut une année folle, en particulier pour les marques de luxe que quelques grands conglomérats internationaux se sont arrachées à des prix inouïs. Jusqu’à presque huit fois le chiffre d’affaires pour Jaeger-LeCoultre, acquis de haute lutte par le groupe zougois Richemont. Conséquence de cette surenchère, la valeur de toutes les marques horlogères de luxe a été revue à la hausse. Et comme ces entreprises sont le plus souvent en mains privées, leurs propriétaires ont gagné pas mal de places dans notre classement. Nicolas Hayek, bien sûr (3 à 4 milliards, qui double sa fortune, suite à l’envolée de l’action Swatch), mais aussi Philippe Stern, le patron de Patek Philippe, ou la famille Scheufele qui contrôle Chopard, tous deux avec une fortune d’environ 1,5 milliard de francs, qui a plus que triplé, selon une estimation conservatrice. Les banques privées ensuite. Comme, dans le monde entier, le nombre de superriches croît rapidement (encore et toujours grâce à la nouvelle économie), les gérants de fortune se frottent les mains. Jamais les affaires n’ont été aussi bonnes.Sans compter que la gestion de fortune reste une activité où les commissions sont peut-être moins importantes que dans la banque d’affaires, mais nettement plus stables.

Les grandes banques s’en sont rendu compte et rachètent à tour de bras les noms réputés du secteur. Et comme ils sont rares, leur valeur augmente. D’où quelques centaines de millions de plus pour les Pictet (dont la banque vaut désormais entre 6 et 7 milliards de francs), Darier Hentsch et autres Mirabaud. On pourrait aussi rajouter le secteur des loisirs et du sport en particulier, dont trois fameux représentants habitent en Suisse, Bernie Ecclestone (3 à 4 milliards) et Patrick McNally (600 à 700 millions), qui ont la mainmise sur la formule 1, ainsi que Michael Schumacher (400 à 500 millions), le nouveau champion du monde. En douze mois, leur fortune a augmenté de 25%. Au moins.

Petite question piège: dans quel canton sont concentrées les plus grandes fortunes? Zurich? Vous avez perdu. Zoug? Vous avez encore perdu. En fait, les milliardaires, surtout quand ils sont étrangers, apprécient beaucoup les rives du Léman, ce qui permet au canton de Vaud d’accueillir 43 superriches, dont la fortune totale s’élève à 77,4 milliards de francs! Deuxième, Genève, avec 47 membres du club qui pèsent 53,5 milliards. Montant presque identique pour Zurich, mais pour 60 personnes. Quant à Zoug, il est quatrième, avec 15 milliardaires, qui pèsent «seulement» 26,9 milliards (voir le classement complet en page 57). Comment expliquer cette concentration en Suisse romande? Les conditions fiscales, bien entendu, mais pas seulement. «Sinon tout le monde irait s’installer aux Bahamas ou à Monaco, où les impôts sont bien plus bas qu’en Suisse, voire inexistants», confirme M. Micheloud, un consultant lausannois qui propose des solutions clé en main aux étrangers fortunés qui désirent s’installer sous nos latitudes.

D’autant plus que si la Suisse offre des conditions favorables à ces exilés, ce n’est pas tout à fait gratuit. Le fameux forfait fiscal porte sur un revenu imposable d’au moins 100 000 francs annuels (au minimum cinq fois la valeur locative de la résidence), voire plus pour des cantons particulièrement sollicités comme Genève. En revanche, pas besoin de déclarer ses revenus ni sa fortune. Et s’il faut ne plus être actif pour bénéficier de ce forfait, il est néanmoins permis de siéger dans des conseils d’administration.

Mais les étrangers apprécient également la situation centrale de la Romandie et la proximité de Cointrin. «Aux Bahamas, vous ne payez pas d’impôts, mais c’est aussi à dix heures de Londres. Et il n’y a qu’un vol hebdomadaire! Même chose pour Andorre, c’est au bout du monde, trois heures de voiture pour atteindre Barcelone», explique M. Micheloud.

Autre atout romand, la qualité générale des infrastructures, surtout médicales, un point essentiel pour des gens qui sont souvent âgés. La qualité des écoles importe également. «Ces retraités riches en sont souvent à leur deuxième mariage et quand ils ont des enfants, la question des écoles revient immanquablement sur la table.»

Des fortunes de papier, vraiment?
Un autre facteur attire ces fortunes en Suisse, la discrétion. La plupart de ces superriches détestent les feux de la rampe. En majorité, ils font pourtant contre mauvaise fortune bon cœur, comprenant qu’une certaine transparence est, en fin de compte, dans leur intérêt (ce qui nous permet également d’affiner nos estimations, un exercice toujours difficile dans le cas d’entreprises totalement privées). De toute manière, avec la disponibilité accrue des informations financières et la multiplication de classements comme le nôtre, il leur est de plus en plus difficile de rester dans l’ombre. Bref, le nombre des réticents qui essaient par tous les moyens, convenables et moins convenables, d’empêcher la publication de leur nom a nettement diminué ces dernières années.

En revanche, ils sont toujours aussi nombreux à affirmer qu’ils ne sont pas aussi riches qu’on pourrait le croire, que l’essentiel de leur fortune n’est que virtuelle. Allons donc! Il n’y a guère que l’oncle Picsou pour vivre dans un coffre fort géant rempli de pièces d’or, les autres préfèrent tous immeubles, actions et titres. Ce qui rend effectivement leur pactole plus volatil, surtout dans ces périodes d’inconstance boursière. Mais n’allons pas jusqu’à dire que ces grandes fortunes sont menacées. Sur les 16 milliardaires que comportait notre premier classement, en 1989, un seul a disparu (et a même passé pas mal de temps en prison), Werner K. Rey. Un autre a perdu la majeure partie de ses avoirs, la famille Bechtler dont le principal actif, l’entreprise Zellweger-Luwa, s’est effondré en bourse. Quant aux autres, ils ont en majorité continué d’accumuler les millions, la palme revenant à la famille Bertarelli (Fabio puis son fils Ernesto) qui a réussi à décupler sa fortune en dix ans, suivie par Klaus Jacobs, qui l’a multipliée par six (assez ironiquement, en reprenant une partie des activités de Werner K. Rey, la firme de travail temporaire Adia).

Quoi qu’il en soit, cette incertitude n’empêche pas les superriches de jouir de leurs trésors. Certes, pour certains (dont les banquiers privés, voir en page 108), ils sont plus difficiles à réaliser que pour d’autres, mais il existe de nombreux moyens – nantissements, emprunts, dividendes, etc. – pour en profiter sans avoir à se séparer d’une seule de ses actions.

De toute manière, que la famille Oeri-Hofmann possède 14 ou 30 milliards de francs ne signifie pas grand-chose, ni pour nous, ni pour elle. L’important, à ses yeux, est de garder le contrôle de Roche, le géant bâlois de la pharmacie. Et pour les membres de la famille, le revenu à disposition dépend moins du montant total de la fortune que de la politique de dividendes de l’entreprise. Mais là on ne parle plus en milliards, tout juste en dizaines de millions (selon nos estimations, la famille a touché à peu près 90 millions de francs de dividendes l’an dernier). Ce qui pose parfois quelques problèmes. Prenez le cas d’André Kudelski, majoritaire – et qui tient à le rester – d’une entreprise qui ne distribue pas de dividendes. Suite à l’envolée du cours de l’action, voilà que le patron vaudois peine à payer ses impôts sur la fortune! Cocasse peut-être, mais si les entrepreneurs sont poussés à minimiser la valeur boursière de leur entreprise, voire à se défaire de leurs actions pour payer leurs impôts, la situation est préoccupante.

420 milliards, plus que le pib
Cependant, ne les plaignons pas trop. Reprise économique aidant, la fortune des 300 superriches a progressé de 13,3% cette année, soit la modique somme de 46 milliards de francs, pour un total de 420 milliards (répartis inégalement, puisque les 101 milliardaires concentrent 83% de cette fortune, dont 20% pour les 7 premiers). Ces 420 milliards, c’est à peu près la totalité des avoirs de toutes les caisses de pension de Suisse, avec lesquels il faudra payer la retraite de quatre millions d’actifs. C’est plus que le PIB helvétique.

Mais ces 420 milliards disent pourtant bien peu de la puissance réelle de ces 300 superriches. Contrôler Roche, ce n’est pas seulement posséder un énorme paquet d’actions, c’est aussi, surtout peut-être, influer sur des centaines de milliers d’emplois – directement et indirectement via les fournisseurs – sur la prospérité économique de régions entières et sur l’orientation de toute la recherche pharmaceutique. Une responsabilité énorme, tant sociale qu’économique! Une responsabilité qui rend d’ailleurs notre curiosité légitime. On nous demande souvent à quoi sert la publication du classement des 300 Suisses les plus riches. Eh bien à ça justement: une société démocratique, ne serait-ce que pour des raisons d’hygiène et de transparence, se doit de savoir qui contrôle les leviers du pouvoir.

Dans le domaine politique, pas de problème, les puissants sont toujours dépendants d’une légitimation populaire.Pas de ça en économie.Ici la puissance se calcule en fortune patiemment accumulée, qui permet de contrôler capitaux, places de travail et moyens de production. Et son propriétaire ne doit affronter aucun vote populaire. Son juge, c’est le marché et lui seul. Une situation qui demande un minimum de transparence. Et qui justifie la publication de notre classement annuel.

Cette année, Bilan se joint au magazine «Bilanz» pour sortir sa liste traditionnelle des personnes ayant une fortune estimée à plus de 100 millions de francs. En 1989, elles étaient cent. Cette année, nos fichiers en comptent près de quatre cents. Nous avons donc été contraints de laisser de côté un certain nombre de noms. Les listes de Bilan et «Bilanz» diffèrent sur une petite vingtaine de personnes dans la catégorie des 100 à 200 millions de francs. En effet, nous avons choisi de, respectivement, «romandiser» et «alémaniser» un brin nos palmarès. Sur plus de trois mois, ce projet a mobilisé une bonne trentaine de journalistes des deux rédactions. Les auteurs de ce classement sont: Bruno Affentranger • Ruedi Arnold • Grégoire Baillod • Jörg Becher • Michel Bührer • Luigino Canal • Thierry Combe • Stefan Conradi • Jean-Raphaël Fontannaz • Isabel Garcia-Gil • Stefan Hotz • Franziska Hügli • Vincent Hutter • Alain Jeannet • Peter Knechtli • Marc Kowalsky • Gerd Löhrer • Stefan Lüscher • Medard Meier • Charlotte Michel • Christine Muller • Thomas Müller • Erik Nolmans • Walter Pellinghausen • Bernhard Raos • Guntram Rehsche • Jean-Louis Rey • Nadja Siebenmann • Teresita Solis • Jürg Steiner • Olivier Toublan • Hanspeter Vetsch • Karl Wild

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